Stadium View. STADE CENTRAL LENINE.


Pour Nikita Khrouchtchev, arrivé à la tête de l'URSS en 1953, il est impensable que la superpuissance soviétique ne soit pas dotée d'une arène sportive digne de la grandeur du pays. Un manque vite comblé. Le patron du Kremlin ordonne la construction d'un grand stade, à la manière de ce qui se passe à l'étranger en lorgnant du côté de l'ennemi capitaliste. Ce sera le Stade Central Lenine.

Le chantier débute en 1955 et est achevé en un temps record, soit un peu plus d'un an après la pose de la première pierre. Le temps presse en effet. Le projet doit être livré pour la cérémonie d'ouverture des premières Spartakiades des Peuples de l'URSS (1er août 1956). Il est inauguré le 31 juillet, à la veille de la grand-messe du sport des régimes socialistes, à l'occasion d'une rencontre amicale entre l'URSS et la Chine (1-0). Bâti sans toit, l'édifice conserve son apparence originale jusqu'en 1972, année de l'attribution des JO 1980 à Moscou par le CIO. Le stade Lenine ferme alors ses portes pour subir de sérieuses modifications. À commencer par le remplacement des bancs en bois par des sièges individuels, faisant passer la capacité du stade de 100.000 places à 90.000. L'enceinte est également équipée de projecteurs pour accueillir les cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux Olympiques. Le côté carte postale de l'arène moscovite qui cache cependant un lourd secret. Une histoire passée sous silence par les hauts dignitaires du Kremlin, une bonne vieille méthode pour étouffer les vilaines affaires à l'époque de la Guerre Froide.

Nous sommes le 20 octobre 1982. L'hiver s'est déjà bien installé à Moscou où un vent glacial, les premières neiges de la saison, font descendre la température à -10°. C'est dans cette atmosphère sibérienne que le Spartak et le club hollandais de Haarlem s'affrontent dans le cadre d'un 1/16ème de finale de coupe UEFA. Pour l'occasion, 16.000 billets ont été vendus. Trop peu pour mobiliser beaucoup de personnel à gérer la foule éparpillée dans les tribunes du Central, selon les responsables de l'enceinte et de la police. Décision est prise de n'ouvrir que la tribune C (22.000 places) et d'en restreindre l'accès à une seule grille afin de réduire les effectifs. Un choix aux conséquences dramatiques. Dans les gradins, on s'ennuie ferme à cause du spectacle offert par les deux équipes sur une pelouse gelée. Le Spartak ouvre rapidement le score puis gâche de nombreuses situations. Pour tuer l'ennui et combattre le froid, les jeunes fans du Spartak, habitués à la tribune B (le kop en quelque sorte), font des batailles de boules de neige, se lèvent pour brandir les drapeaux (chose interdite en URSS) et bravent l'escorte policière. La situation est tendue, les plus véhéments étant virés manu-militari de l'enceinte. La rencontre touche à sa fin. Les premiers supporters quittent les gradins encadré par un cordon de police. C'est le moment choisi par Sergei Schvetsov d'en profiter pour doubler la mise à vingt secondes de la fin du temps réglementaire. Un but qu'il avoue regretter par la suite, rongé par la culpabilité. Une clameur jaillit des tribunes. Les spectateurs sur le départ, frustrés d'avoir manqué un épisode, tentent de rebrousser chemin et regagner l'enceinte dans le but de participer à la fête. Ces derniers sont cependant refoulés par une deuxième vague de départ qui afflue vers l'unique sortie après le second but des Spartakistes. Repoussés vers les grilles fermées et étouffant dans le couloir étroit menant vers la sortie, l'issue fatale semble inéluctable. Une jeune fille tombe sur les marches rendues glissantes par la météo (la direction du stade n'a pas jugé utile de dégeler les marches tout comme les gradins enneigés) et entraîne d'autres personnes avec elle. Sous la pression de la vague de supporters qui suit, les rampes de l'escalier cèdent. Premiers traumatismes et premières victimes. Selon le communiqué officiel de cette sombre soirée, on en dénombre 66. Autant qu'à Ibrox en 1971. Le bloc socialiste ne peut être plus décadent que son rival de l'Ouest.

Or, pour le comité de soutien à la mémoire de la catastrophe du 20 octobre 1982, on fait part de 340 décès. Et l'on pointe du doigt l'attitude de la police ce jour-là. Décidée à en découdre avec les jeunes, qualifiés de hooligans, elle aurait tendue un piège machiavélique à ses détracteurs avec cette unique sortie. Par ailleurs, elle aurait retardée au maximum l'intervention des secours, laissant des corps agonisants au sol. Selon des témoins, il faudra attendre 45 minutes pour venir en aide aux blessés. L'enceinte est par ailleurs encerclée par un cordon de sécurité interdisant l'accès à toute personne extérieure, affectée par le drame ou non. Bien sûr il y a un procès et conduit à l'envoi au goulag du directeur de la sécurité du stade. Mais la responsabilité de la police, donc de l'état, est épargnée. Surtout l'affaire est complètement étouffée et ne sort que sept ans après, en 1989, en pleine période de glasnot. Un rapport accablant du rôle de la police est rendu. Mais pendant tout ce temps, la propagande par le sport, l'esprit de la jeunesse et des Spartakiades n'eurent que peu d'intérêt dans les bureaux du Kremlin, soucieux de grandeur et d'hégémonie du système socialiste, pourtant déjà vacillant et contesté par le soulèvement de Budapest (1956), le printemps de Prague (1968) et la création du récent mouvement Solidarność autour de son charismatique leader Lech Walesa en Pologne.



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