A l'approche de l'été
1979, à partir de mai et jusqu'en août, The Clash conçoit ce qui
deviendra plus tard l'un des meilleures album (punk) rock de tous les
temps « London Calling ». Pour préparer la
réalisation du troisième opus du groupe londonien, leur nouveau
manager Johnny Green - qui remplace Bernie Rhodes viré peu de temps
auparavant pour cause de désaccord – emmène sa troupe du côté
de Pimlico dans le quartier de Westminster où logent les studios
Vanilla sur Causton street. C'est là, dans ce local de répétition
à peine plus grand qu'une chambre de bonne, que The Clash répète
ses morceaux avec énergie et l'envie d'en découdre. Et pour fédérer
une formation en proie au doute après le licenciement de leur
manager historique, les parties de football vont jouer un rôle
essentiel dans la cohésion de groupe.
A quelques enjambées des
studios Vanilla se dresse, sur une petite place, un terrain de jeu de
la taille d'un court de tennis. Joe Strummer, Mick Jones, Paul
Simonon et Topper Headon s'y donnent régulièrement rendez-vous,
vers la fin de l'après-midi, avant d'entamer les longues séances de
répétition qui s'étalent pendant toute la nuit en règle générale.
« Comme on était très concentrés, relate Joe
Strummer dans le rockumentaire THE CLASH édité par le groupe himself (paru en
France chez le Diable Vauvert, 2014), on
se faisait un foot à cinq contre cinq pour se détendre avant de
commencer à répéter. On jouait au foot jusqu'à ce qu'on tombe, et
ensuite on jouait de la musique. C'était un bon échauffement ».
Et une bonne manière de souder les quatre membres du groupe puis
mettre à profit leur esprit de créativité. Le football comme moyen
d'instaurer l'union sacrée ? Le guitariste Mick Jones adhère
au principe. « Je pense que nous nous sommes vraiment
retrouvés à cette époque, concède le membre fondateur du
Clash, et le football y était pour beaucoup. Cela nous a
rapprochés, comme si nous ne faisions qu'un ». Cet état
d'esprit, on le retrouve forcément à l'écoute de « London
calling » considéré par beaucoup comme le sommet artistique
de leur carrière. Car en dehors du foot, les punks londoniens ne
s'accordent que peu de loisirs durant cette période. Ni drogue, ni
alcool (ni sexe ?), le groupe bûche religieusement sur son opus
« cinq ou six heures par jour, toute la semaine, dans une
pièce sans fenêtre » d'après le bassiste Paul
Simonon. Et ce, malgré les petits bobos et les vilaines blessures, conséquences de parties âprement disputées, qui mettent parfois en péril la santé physique des musiciens.
« Mickey Gallagher (appelé en renfort pour
épauler le groupe et membre de Ian Dury & The Blockheads)
s'est cassé le bras en jouant au foot, lâche Mick Jones, ce
qui l'a mis sur la touche pendant presque tout l'album. Il devait
jouer d'une seule main sur son clavier Hammond, alors Joe et moi on
s'est débrouillés avec plein de petits morceaux de piano ».
Mick m'a fait réécrire les paroles. Les couplets, en tout cas. A Londres, à chaque gros match de foot, les rues de Soho étaient bondées. Mon texte parlait de cette foule. Mick m'a fait, « Dans le refrain tu dis London Calling, alors tu vas réécrire des couplets et tu essaies de revenir avec quelque chose de mieux ». Alors, j'ai réécrit tous les couplets...
(Joe Strummer à propos du single « London Calling »)
Car si les petits matchs
entre eux restent amicaux, dénués de tout intérêt sportif ou
compétition officielle, ils relèvent souvent de la « Revolution Rock », une véritable foire d'empoigne sur le bitume du stade
de fortune squatté par le Clash et toux ceux qu'y se joignent à eux
pour l'occasion. A commencer par les gamins du quartier, âgés pour
la plupart entre 9 et 13 ans, qui viennent taper dans le ballon avec
les rockeurs en cuir à la sortie de l'école. Sans se soucier de qui
ils sont. Trop jeunes. Des mômes de la classe ouvrière qui prennent
régulièrement rendez-vous avec le Clash pour former les équipes
(deux membres du groupe dans chaque formation). Dans cette joyeuse
troupe, on retrouve aussi Ray Gange (héros du film culte « Rude
boy » commandé par le groupe), des musiciens, des
journalistes, des Dj's, les amis... Mais aussi les huiles du label du
combo punk (EPIC pour les States). « Un jour, on y a
emmené des gars de la maison de disques et des Américains de
passage, se souvient Paul Simonon. Comme je n'étais
pas le plus habile, je taclais tout le monde et ils fuyaient tous
quand j'avais le ballon. Les mecs ne voyaient rien venir, on leur
tapait dans les tibias, on les malmenait, c'était marrant ».
Pure vengeance ou technique aléatoire ? Faut dire qu'au petit
jeu de la qualité footbalistique en effet, les membres du Clash ne
sont pas comparables à George Best ou Kevin Keegan. « Joe,
c'était un cheval de trait habitué à lutter pour réussir,
toujours selon le bassiste le plus sexy de la planète. Mick
était agile et rapide » mais il ne vaut pas un clou
balle au pied. Le seul à tirer son épingle du jeu est le batteur
Topper Headon, qui apporte une touche de finesse parmi ce gang de
bouchers.
Des bourrins qui, une
fois les répétitions terminées à Pimlico, s'installent dans le
nord de Londres pour l'enregistrement du double album. Dans les
studios Wessex, situés à quelques pas du stade Highbury. L'antre
des « Gunners » dont le producteur excentrique de
« London Calling » Guy Stevens (décédé en 1981) est un
fan absolu. « Guy était supporter d'Arsenal,
rapporte Mick Jones plutôt porté sur les R's (QPR). Il
passait à Highbury en venant au studio. Il prenait un taxi, faisait
attendre le chauffeur et allait voir la pelouse sacrée. Tous les jours, il arrivait avec son écharpe d'Arsenal ». Grâce
au travail effectué par le groupe en amont, l'enregistrement de
« London Calling » ne prend pas plus d'un mois, Guy
Stevens s'attachant à garder la spontanéité des morceaux copiés
sur des démos à Pimlico. Ce qui lui donne ce « quelque
chose d'instinctif » toujours selon Mick Jones.
« London Calling » sort le 14 décembre en 1979 en
Angleterre et en janvier 1980 aux Etats-Unis. Un double album pour le
prix d'un simple selon le vœu du Clash. Il atteint la 9ème place
dans les charts anglais (27ème au classement américain) et demeure
encore aujourd'hui une référence ultime. Il permet aussi par
ailleurs de faire sortir The Clash du microcosme punk. Une honte pour
les fans de la première heure, déjà forts déçus par leur
précédente production « Give 'Em Enough Rope ».
C'est une chanson inspirée par les grilles qui entourent les terrains de foot anglais, horribles, comme des cages. Elles m'angoissaient.
(Joe
Strummer à propos du morceau « Groovy Times » sorti sur le E.P « The Cost of Living »)
Pour conclure, à
l'époque de l'enregistrement de « London Calling », Joe
Strummer résidait avec sa copine Gaby Salter pas très loin de
Stamford Bridge. Son équipe fétiche sur laquelle il connaît tout
ou presque. Il se rend très souvent au stade en compagnie du frère
de Gaby au milieu des fans, même les moins politiquement corrects.
Les « Headhunters », dont la plupart sont membres du
National Front, font souvent le coup de poing avec la police
ou les bandes rivales. Lors d'un derby contre West Ham un jour de
novembre 1979, Joe est même poursuivi par les fans des « Hammers »
armés de couteaux ! Le leader du Clash décide alors de ne plus
mettre les pieds au stade pendant un petit moment. Topper Headon est aussi un
supporter des Blues, plus modéré dans sa passion que son copain
chanteur. De son côté, Paul Simonon avoue avoir flirté un temps
avec les skinheads qui fréquentent les tribunes de White Hart Lane,
l'enceinte de Tottenham Hotpsur. Enfin Mick Jones, comme le leader de
The Cure Robert Smith, avoue être un inconditionnel des Queens Park
Rangers qu'il suit encore, dès qu'il le peut, en se rendant à
Lotfus Road.
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