« On ne devient jamais ce que l'on est par le simple fait du
hasard. C'est ainsi que s'exprime Dominique Dropsy à l'aube de
sa longue carrière. Il y avait, en ce qui me concerne, ce que je
suis devenu, c'est-à-dire joueur de football professionnel, quelques
bons motifs de parvenir à ce résultat. » En effet, bien
avant fiston, c'est papa Guy qui garde les bois dans sa jeunesse,
avec le projet d'en faire son métier. « Il avait la classe
pro » assure le fils. Mais un daron vieux-jeu parasite les
plans du jeune portier qui se tourne alors vers le travail, et crée
plus tard une société de transports. Le futur, c'est son Dominique
né un dimanche (9 déc. 1951), pense t-il. Si ce dernier accepte
d'exorciser la vocation contrariée du père en œuvrant sur le pré !
Par chance, le gamin aime tâter du cuir. « Dès ma plus
tendre enfance, j'ai aimé le ballon plus que tout, confesse
d'ailleurs l'héritier. En aucune façon mon père m'a obligé à
devenir professionnel. Avec le soutien de mon père, qui s'en
réjouissait, je suis passé professionnel. C'est assez différent. »
Hommage à celui qui n'a pas connu cette chance mais qui fait tout
pour que le fils atteigne son objectif. Une voie royale qui commence
à Hirson, dans l'Aisne, pas très loin du domicile familial, sous
les ordres de Mr Durand, sorte de deuxième paternel et ancien
gardien lui aussi. « C'est lui qui m'a appris l'A.B.C du
métier. Et je mesure cette chance d'avoir eu à un si jeune âge, un
vrai maître pour m'enseigner la spécificité de la tâche du
gardien ».
Quand on est de Leuze, un village à quelques foulées de la
frontière des départements de l'Aisne et des Ardennes, le grand
club du coin, c'est le C.S.C.V Hirson. C'est dans cette équipe
familiale que Dominique Dropsy grandit, et brûle parfois les étapes.
« Ma vraie carrière a débuté en cadets, rappelle le
Picard. Par le fait d'un surclassement, j'ai gardé les buts de
Hirson en D.H. J'ai fait partie des sélections cadets de l'Aisne et
de Picardie. C'est là qu'on m'a remarqué. » Car la bête
a du talent, et ne compte plus les heures sup' à en baver avec son
coach. « Deux fois par semaine, Mr Durand me prenait dans
les buts. Il me faisait travailler, travailler, travailler... »
A un tel point que Nantes s'intéresse au profil du garçon. Nous
sommes en 1968, le môme est encore mineur. C'est donc les parents
qui reçoivent à la maison. « Je me rappelle très bien la
visite que fît Mr Fonteneau, le président du F.C Nantes.
indique l'intéressé dans les colonnes de Football Magazine en
décembre 1974. Castel et Fouche étaient blessés tous les deux.
Nantes jouait à Sedan, ce qui n'est pas si loin de chez moi. Mes
parents refusèrent l'accord leur accord à Mr Fonteneau car ils
m'estimaient encore trop jeune pour franchir le grand pas. J'avais 16
ans et le bac technique à préparer. » Pour assurer
l'avenir, et prendre (éventuellement) la relève de l'entreprise de
transports routiers bâtie par papa. Une première touche avec le
haut niveau suivie d'une autre salve quelque temps plus tard. La
bonne cette fois pour papa-maman. En 1970, Dominique Dropsy émigre
un peu plus au nord, à Valenciennes, où il entame son apprentissage
professionnel, ce vœu si cher à son père. Quelques mois plus tard,
il intègre l'équipe première. Flashback et souvenirs en pagaille :
« C'est à l'occasion d'une tournée en Afrique en 1970-71
que je suis devenu titulaire à Valenciennes. A l'époque, nous
étions deux gardiens Jean-Marie Lawniczak et moi-même. [Robert]
Domergue (entraîneur de l'U.S.V.A de 1953 à 66 puis de 1970 à
72 ) nous avait dit qu'il nous ferait jouer chacun notre tour. […]
Le malheur voulut pour lui qu'il se blesse. C'est de ce moment-là
que date le début de ma carrière. » Valenciennes est
alors en D.II mais accède à l'élite après un titre de champion
(1972). La première grande joie de joueur pour Dropsy qui
débute en D.I le 9 août 1972, contre Nîmes Olympique. L'U.S.V.A
fait l'ascenseur malgré les qualités intrinsèques de son dernier
rempart, capé chez les Espoirs, et courtisé par Marseille puis
Strasbourg en fin de saison (1973). C'est le club alsacien qui
remporte la mise. « L'O.M me proposait de demeurer encore
une année à V.A, le temps que le contrat de Georges Carnus
parvienne à son terme, relate la nouvelle recrue. C'était
une perspective intéressante mais, tout de même, aléatoire. Je
donnai donc finalement mon accord à Strasbourg dont les propositions
étaient concrètes et immédiates. »
.
Au Racing, c'est l'assurance d'évoluer dans un environnement sain,
et à une place de titulaire. Avec Robert Domergue à ses côtés. Le
nouvel entraîneur alsacien, parti aussi de V.A, ne cache son amour
pour le jeune international espoirs. L'expérience des deux hommes en
Alsace est courte. Domergue est remplacé par le Néerlandais Hennie
Hollink (1974), lequel développe les qualités de Dropsy par des
exercices spécifiques. « Il s'agît à chaque fois, avec
deux ou trois joueurs à tour de rôle, et pendant une demie-heure,
trois-quart d'heure, de recréer les conditions du match. »
Dominique Dropsy progresse à pas de géant, a contrario du
Racing qui vit des saisons chaotiques ponctuées par une valse des
entraîneurs et la descente en D.II en 1976. Un ancien de la maison
débarque. Gilbert Gress marque les esprits parmi les joueurs, les
dirigeants et les supporters. Durant son règne, de 1977 à septembre
80, le coach à lunettes obtient une troisième place et la
qualification pour la coupe U.E.F.A (1978), puis rafle le titre avec
le Racing devant Nantes et Sainté l'année suivante !
Blitzkrieg Bop. Dropsy profite de la dynamique en étant des
22 pour l'Argentine. Depuis le temps qu'il flirte avec la sélection,
il est appelé par Hidalgo et titulaire contre la Hongrie, sa
première cape chez les Bleus. D'abord la consécration
internationale avant le titre de champion de France, le premier
trophée national de sa carrière (1979). Gress-Dropsy, un tandem
gagnant ? C'est l'avis du portier alsacien : «
[…] en 1976, j'ai fait un pari. Strasbourg descendait et Lille
m'avait demandé. Or, je savais de la bouche même de Gilbert […]
qu'il était susceptible de revenir à Strasbourg comme coach. Je
croyais beaucoup en Gilbert, avec qui j'avais joué pendant deux ans
(de 1973 à 75). Pour ses idées, son caractère. Alors, j'ai préféré
rester en Alsace. J'ai fait un pari sur sa compétence. Je n'ai pas à
le regretter. » Une belle union qui ne fait cependant pas
toujours la force. Surtout devant les préjugés d'André Bord. Le
président du Racing, en total désaccord avec son entraîneur,
débarque ce dernier au début de la saison 1980-81. C'est le début
de la crise du côté de la Meinau, qui brûle certains soirs de
match. De son côté, charge émotionnelle ou non, Dominique Dropsy
peine à s'imposer en équipe de France. Tantôt barré par Rey,
Bertrand-Demanes, Baratelli, Castaneda ou Etorri. Pire, après un
Hollande-France crucial qualificatif pour le Mundial 82 (1-0), on lui
colle la défaite sur le dos (façon de parler) suite au malheureux
but concédé sur un coup-franc de Mühren. Dropsy navigue à vue en
Bleu, jusqu'à la consécration de Joël Bats.
Dominique Dropsy aux Girondins avec Chalana et Giresse.
La messe est dite et Dominique signe à Bordeaux pour se refaire un
moral (1984). Avec Gigi, Nanard et René Girard, c'est une autre
famille qui l'accueille au Haillan. C'est l'époque dorée des
Girondins avec l’omnipotent président Bez à la barre dans les
coulisses, et Mémé Jacquet à la manœuvre sur le pré. Un an après
son arrivée, Dropsy est de nouveau champion de France (1985), puis
gagne la coupe (1986) avant de réaliser le doublé (1987). Des
saisons qui se suivent et garnissent la vitrine aux trophées. Au
mitan des 80's, Bordeaux surfe sur les autres sur le plan national,
et est à deux doigts de réussir en coupe d'Europe. Par deux fois,
les Girondins accèdent à la demi-finale d'une coupe européenne :
contre la Juventus (0-3 ; 2-0) en C.1 (1985) et Lokomotive
Leipzig (0-1 ; 1-0 ; 5 tab à 6) en C.2 (1987). Les
derniers moments de gloire des Girondins, et de Dropsy, avant la
domination de l'O.M de Tapis sur le championnat, et en Europe. Le
vent tourne. Trop vite. Dominique Dropsy est décédé le 7 octobre
dernier d'une leucémie qu'il combattait depuis quelques années. Le
football français et la presse entière ont salué la mémoire et la
gentillesse de l'international, devenu naturellement entraîneur des
gardiens au moment de la reconversion. « Au plus loin où
remontent mes souvenirs de jeune joueur, confesse un jour Dropsy
à un journaliste. Je suis déjà gardien de but. Et je le suis
resté. » Après les bois, le Géant comme on l'appelle
parfois garde désormais les clés d'un autre temple. Et rejoint son
idole de jeunesse Lev Yachine « qui a inventé le
rôle du gardien moderne, patron de ses dix-huit mètres, sortant
loin de ses buts pour écarter le danger. » De quoi deviser
sur la matière en bonne compagnie désormais.
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