Bibile, c'est un peu le Poulidor du foot. A l'instar de l'éternel
second dans le vélo, le Martiniquais est un travailleur à
l'ancienne. Le bon type qui n'hésite pas à repousser l'âge de la
retraite pour faire le métier. Un dur au mal qui ne compte pas les
heures passées sur le terrain. André Kabile, dit « Kabyle »
aussi, est un increvable comme la bécane à « Poupou ».
L'ouvrier modèle qui reste fidèle à son club de toujours :
Nîmes Olympique. Une loyauté à toute épreuve sur le flanc gauche
de la défense des Crocos qui s'étale sur deux décennies (de 1964 à
79). André Kabile, c'est l'amour du maillot Cacharel, Zan ou
Chaussettes Kindy, le sens de l'amitié et les apéros chez Mézy.
L'histoire d'un gars bien, dans sa tête et ses bottes, adopté par
les vieux supporters du stade Jean-Bouin pas toujours très tendres
avec leur équipe. Bibile est une figure locale, un mec à part. Le
dernier artisan du foot, à la carrière longue comme le bras
récompensée par le record d'apparitions sous le maillot nîmois
(516 matches). Un bail qui risque de durer encore un peu.
André Kabile pose les pieds à Nîmes au cours du mois de juillet
1964. Un mois plus tard, le 30 août, il débute contre Sedan sa
longue histoire avec les Crocos. Le club gardois devient sa seconde
patrie, loin de son Saint-Esprit natal dans les DOM. « C'est
ma famille, c'est tout, résume la vieille carcasse du
championnat de France. Je n'ai jamais songé à le quitter mon
Nîmes Olympique. Le soleil, les copains, les cartes, le ballon, une
certaine façon de vivre... » L'esprit de clocher dans un
environnement sain et familial. André Kabile a rangé ses ambitions
personnelles au placard au profit d'un style de vie. Entre douceur de
vivre et franche camaraderie. Une bande de potes coachée par Kader
Firoud (de 1955 à 64 puis de 1969 à 78), un éducateur à la
discipline militaire. Un monument au club qui ne fait pas dans le
sentiment. « Un entraîneur de choc qui ne passe sur rien,
concède Bibile à son endroit, mais qui nous tire toujours
d'affaire. » Avec des méthodes parfois proches du combat
au corps à corps, comme en ce jour de mai 76 où les Nîmois
dézinguent Farison et Synaeghel à une semaine de la finale de
Glasgow. Les Crocos n'ont pas le standing des Verts, ni des pointures
du championnat. Bibile, Bernard Boissier, Michel Mézy et les autres
luttent tous les ans dans le gruppetto des formations modestes qui
utilisent la semelle comme arme première. La réponse au jeu
technique. « La valeur athlétique, c'est ce qui fait la
différence dans un football où la valeur technique moyenne s'est
beaucoup élevée » argumente d'ailleurs le pilier de la
défense nîmoise. Les chiens mangent les chiens, les apôtres du
beau jeu aussi par conséquent.
Kabile et Adams au cours de la saison 1971-72.
Les saisons s'empilent et se ressemblent toutes un peu au N.O, au
mieux en première partie de tableau et au pire dans le ventre (très)
mou du classement. Mais il y a aussi quelques éclairs, comme en 1971
et 75 lorsque l'équipe atteint la 4ème place au général. Et que
dire de la saison 1971-72 quand Nîmes Olympique devient
vice-champion de France au terme d'un exercice dominé par l'OM. Avec
un duo d'attaquants providentiel - Jacky Vergnes (26 buts) et Jacques
Bonnel (17) - l'équipe réalise un excellent parcours, notamment à
domicile où elle se montre irrésistible en giflant les visiteurs
(6-2 contre Bastia, 5-2 contre le LOSC, 5-1 contre Monaco, 4-0 contre
Nantes et Sainté ou encore 4-1 devant PSG). Cette année-là, seul
l'OM réussit l'exploit de s'imposer à Jean-Bouin. Pas une mince
affaire devant ce fervent public « formidable quand tout va
bien, selon l'honnête Bibile, mais qui change très vite de
ton dès que le vent tourne. » C'est le sommet de
l'histoire du club en première division. Et par conséquent celui
d'André Kabile, qui connaît aussi parfois les honneurs d'une
participation à une coupe d'Europe. Un p'tit tour et puis s'en va
contre Vitoria Setubal (1972) et Grasshoppers Zürich (1973). Pas
grand chose à mettre dans la vitrine à trophées du Martiniquais,
tout au plus un autre titre de vice-champion en D.II acquis
auparavant (1968), celui-ci se nourrit des souvenirs et des
rencontres sur le pré avec les gars du pays. « C'est
évident. J'aime mon pays et mes frères, lâche sans concession
le natif de Saint-Esprit qui n'oublie pas ses lointaines origines.
Nous avons beaucoup d'affinités Janvion, Laposte, Modeste et
quelques autres. » Bibile reste un nostalgique de son île,
qui ne manque pas l'occasion d'égratigner ses voisins d'Outre-Mer,
Marius Trésor en tête. « C'est un bon camarade mais comme
tous les Guadeloupéens, il est sûr de lui, taquine le Croco à
hauteur des mollets. Le petit sentiment de supériorité qui
sépare les habitants de nos deux îles. »
Une dent contre l'international pour celui qui n'a jamais eu sa
chance à ce niveau ? Stefan Kovacs, le sélectionneur français
à l'époque, loue les mérites de Bibile. « C'est le
meilleur arrière gauche français, tranche le Roumain plutôt
adepte de la jeunesse. Dommage qu'il ait 36 ans ! »
André Kabile peut nourrir quelques regrets, les seuls de sa
carrière. « Je n'ai jamais eu ma chance au niveau de
l'équipe de France, avoue t-il le cœur et les dents serrés. Il
y a eu des hommes indiscutables comme Chorda ou Jean Djorkaeff.
D'autres plus contestables. Je méritais de mettre mon grain de sel
chez les Tricolores. Croyez-moi, je n'aurais pas raté le coche. Mais
si on m'a toujours regardé avec une certaine sympathie, on en est
resté là. Dommage ! » A défaut, André Kabile se
contente de battre le record d'apparitions sous le maillot nîmois,
presque dans l'anonymat, à l'image de sa modeste mais honnête carrière. Au cœur de l'été 1978, un 18 août, il
joue son dernier match contre le Stade Lavallois, remonté à
bloc comme au premier jour. « Le moral me permet d'avoir la détermination d'un
junior prêt à toutes les conquêtes » a pour habitude de
répondre Bibile au sujet de sa longévité. Le Martiniquais a 40 ans
et encore quelques cartouches dans les chaussettes Kindy au soir de
son jubilé à Jean-Bouin, avant la reconversion au service des
sports de la ville de Nîmes. Le cadeau de la cité gardoise à une
véritable figure sportive locale.
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