Par une douce nuit de juillet 1970 dans
l'enceinte du stadio Comunale de Turin, Elena Schiavo pleure toutes
les larmes de son corps. « C'est de ma faute, ne cesse
t-elle pas de marteler entre deux sanglots, c'est de ma faute si
nous ne sommes pas championnes du monde mais seulement
vice-championnes, comme Riva et Mazzola ». En effet, le
pendant féminin des deux stars du calcio suit un trajectoire
parallèle à celle de la Nazionale, défaite quelques jours plus tôt
par le Brésil de Pelé au Mexique. Elena, qui avait la balle
d'égalisation au bout du pied à l'heure de jeu, rate le pénalty
qui aurait permis à son équipe de revenir à la hauteur de son
adversaire du soir, le Danemark, qui profite de la malchance des
Italiennes pour faire le break à deux minutes du coup de sifflet
final, et conquérir du même coup le titre mondial à l'occasion de
la première édition de la coupe du monde de football féminin.
L'Italie a perdu sur le terrain, corrigée par des Danoises réalistes
qui laissent Elena Schiavo seule avec son chagrin, mais gagné son
pari sur le plan de la médiatisation de l'évènement suivi
massivement par un public chaleureux durant une dizaine de jours (du
6 au 15 juillet).
Ce qui rend Elena si triste, c'est ce
sentiment de la fierté nationale. En effet, la « Coppa del
mondo », comme on l'appelle dans la Botte, est organisée
chez elle, dans son pays où le foot est une religion. Et même si
elle n'a rien d'officiel puisque la compétition n'est pas reconnue
par les machos de la FIFA, persuadés que son sport se joue
uniquement avec du poil aux pattes, le premier mondial de football
féminin suscite malgré tout la curiosité des observateurs et des
(nombreux) spectateurs présents dans les stades désignés pour
accueillir la fête (Gênes, Bologne, Milan, Bari, Salerne, Naples et
Turin). Née de la volonté d'hommes d'affaires principalement
italiens, lesquels dirigent la FICF (la fédé italienne de calcio
féminin), et rejoints par d'autres fédérations internationales
(Autriche, Suisse, Allemagne, Angleterre, Mexique), toutes ces
nations étant regroupées au sein de la FIEFF (la fédé
internationale et européenne de foot féminin), la compétition
accueille huit nations - les pays cités plus haut et un nouveau
venu, la Tchécoslovaquie, qui déclare forfait par la suite -
divisée en deux groupes. La finale, qui revient donc aux joueuses
scandinaves, se déroule à Turin devant 40.000 à 50.000 spectateurs
selon les témoins présents. Le chiffre officiel est de 26.000
billets vendus pour le match. Des petits malins ont en fait réussi à
passer à travers les barrages et les cordons de sécurité. Les
autres rencontres se sont déroulées quant à elles devant une
affluence moyenne de 10.000 spectateurs. L'attrait de voir de jolies
jambes dénudées ou la curiosité d'assister à la naissance d'un
nouveau spectacle non dénué de charme ? Ce premier mondial au
féminin est une réussite économique et sportive pour les
organisateurs.
Une petite consécration pour la
pratique (la FIFA mettra cependant 20 ans pour reconnaître le statut
du football féminin avec l'organisation officielle d'une 1ère coupe
du monde en 1991 accueillie par la Chine) qui ne reste
malheureusement pas au goût de tout le monde. Certains dirigeants
des pays présents contestent en effet le déroulement du tournoi et
la logique mercantile des organisateurs, lesquels ne sont pas des
hommes d'affaires sans penser chiffres et profits. L'embrouille
concerne le tirage au sort des demi-finales. L'Italie tombe sur les
Danoises. Or, étant considérée comme la meilleure équipe
européenne à l'époque, les organisateurs ont misé sur une finale
Danemark-Italie pour amasser du gain. Ils invalident le tirage dans
la foulée, et décident de manière arbitraire du choix des
rencontres. L'Italie récolte la modeste sélection suisse tandis que
l'Angleterre est opposée aux Danoises. Tollé des dirigeants suisses
et anglais qui reste sans écho. La finale opposera l'équipe locale
aux meilleurs joueuses de la vieille Europe. La première coupe du
monde de football féminin vient à peine de naître qu'elle utilise
déjà les vieilles recettes et les petits arrangements entre amis
du modèle masculin.
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