Le
moustachu qui ressemble comme deux gouttes d'eau à son coéquipier
Antonin Panenka, c'est Zdenek Nehoda. L'autre, un grand gaillard de
1m89, Anton Ondrus. Deux piliers de l'équipe nationale, artisans
modestes de la victoire tchécoslovaque à l'Euro 76 aux dépens de
l'Allemagne de l'Ouest, qui font souffler un vent de révolte sur le
football européen et attisent les braises encore incandescentes d'un
printemps de Prague écrasé dans la douleur par le grand frère
soviétique. Deux vies et deux destins parallèles entamés au pays
parmi les meilleurs représentants du football tchécoslovaque à
l'époque: Dukla Prague et Slovan Brastislava. Les vitrines, aux
palmarès long comme le cours du Danube, de ce petit état coincé au
cœur de l'Europe centrale.
Anton Ondrus, vainqueur de la plus belle chemise de l'Euro 76.
Frères
sous le maillot de la sélection, Ondrus et Nehoda se tirent la
bourre en club et se disputent les honneurs et les distinctions
personnelles. L'aîné des deux, Anton Ondrus, est le premier à se
mettre en évidence. Auteur d'un doublé coupe-championnat avec son
club (1974) et d'un second titre de champion l'année suivante (sans
oublier les trophées en coupe de Slovaquie 1974 et 76), le capitaine
de l'équipe nationale profite de l'Euro 76 pour se classer au 6ème
rang à l'élection du meilleur footballeur européen de l'année. Le
meilleur classement obtenu à cette époque par un joueur slovaque
dont il est encore très fier aujourd'hui : « C'est le succès
que j'apprécie le plus, apparaître sur les tablettes aux côtés de
Platini et Cruijff ». Les terreurs de l'Ouest, paradis
inaccessible pour ces représentants de l'Est bloqués par la
politique real-socialiste de leur fédération sur les transferts
vers l'Occident. Pas avant 30 ans. Un regret dans la carrière du
défenseur de Bratislava : « Le Bayern, Stuttgart et
Mönchengladbach s'intéressaient à moi. Je regrette de ne pas avoir
testé mes compétences dans des grands clubs étrangers, dans des
conditions autres que celles d'un état socialiste. Je n'ai pas
réussi à connaître les limites de mes possibilités. Après 30
ans, il était déjà trop tard. J'avais atteint mon zénith ».
Un sentiment pas vraiment partagé par son compère moustachu,
étudiant dans la vie, qui planche sur un diplôme d'avocat pour
s'atteler plus tard « à l'examen des dossiers courants de
la justice pénale : divorces, litiges de tous ordres... ».
Loin du ronflant du foot pro et ses sirènes inhérentes : « Chez
nous, le professionnalisme n'existe pas. Les joueurs ne sont pas
payés au mois. Ils reçoivent seulement des primes à chaque
match ». Le ballon rond n'est pas une priorité pour l'attaquant du Dukla,
convoité à l'époque par les meilleurs clubs allemands, espagnols
et italiens, qui tente comme pour s'en convaincre de prendre son
sport tel un loisir quelconque, à mille lieux de sa vocation
première, le droit : « Mes études, c'est cela mon vrai
métier. Le football n'est pas en mesure de combler toutes vos
aspirations. C'est un sport merveilleux, mais il faut en prendre et
en laisser ». A méditer pour certains, comme sa carrière
au pays nantie de trois titres nationaux (1977, 79 et 82) et autant
de coupes (1970, 81 et 83), riche en souvenirs et émotions fortes -
« Le titre de champion d'Europe en 1976 et les titres de
meilleur joueur de Tchécoslovaquie en 1978 et 79 » - parmi
les meilleurs. Humbles, nos deux amateurs franchissent tout de même
le rideau de fer sur le tard pour négocier leurs talents à l'Ouest,
à un âge où les clubs de premier rang ne comptent plus du tout sur
eux.
THONON CS 1984-85 avec Anton Ondrus.
Anton
Ondrus, héros malgré lui en ½ finale de l'Euro 76 contre les
Pays-Bas (3-1) en marquant pour les deux camps au cours de la
rencontre, rejoint la Belgique et FC Bruges au début de la saison
1981-82. Le plat pays, une destination choisie par Nehoda quelques
années plus tard (1984) lorsqu'il rejoint Liège et le Standard
après un passage en Allemagne (SV Darmstadt 98). Le premier dans les
Flandres, le second chez les Wallons. Une manière pour chacun
d'affirmer leurs origines et leurs divisions au sein d'une République
réunifiée au lendemain de la 1ère guerre mondiale: Ondrus est né
à Solčany en territoire slovaque, Nehoda à Hulín, berceau de la
Moravie. Un désaccord et une crise identitaire qui débouchent
finalement sur un traité dans les Alpes, quand Anton Ondrus pose sa
valise diplomatique à Thonon (de 1983 à 87) et Zdenek Nehoda se
retrouve à Grenoble (1984-86), non sans lâcher une bombe sur le
niveau du football français : « La sélection
(française, ndlr) pratique un meilleur football que vos
clubs ». Entre-temps, nos deux internationaux chopent la
médaille de bronze pendant l'Euro italien, avant leur retraite
paisible dans les montagnes alpestres. L'art de rester au sommet en
quelque sorte, et partir la tête haute.
F.C GRENOBLE 1984-85 avec Zdenek Nehoda.
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