Lev Yachine vs The Rest of the World.
Tout Moscou aurait voulu assister à la rencontre, mais il n'y avait pas assez de place, c'est presque un paradoxe, dans l'immense stade Lénine. Le 27 mai 1971, quelque 103.000 spectateurs s'entassent dans les gradins de l'enceinte moscovite pour assister à la der de Lev Yachine. Le héros du peuple, peu ordinaire, fête son jubilé et tire un trait sur sa carrière sportive en invitant pour l'occasion une équipe de stars mondiales dirigée par l'entraîneur yougoslave Rajko Mitić.
Bobby Charlton (Angleterre), Ladislao Mazurkiewicz (Uruguay), Ivo Viktor (Tchécoslovaquie), Giacinto Facchetti (Italie), Hristo Bonev (Bulgarie), Florea Dumitrache (Roumanie), Włodzimierz Lubański (Pologne), Dragan Džajić (Yougoslavie), Gerd Müller (Allemagne) - pour les plus connus - et le frenchy « Tchouki » Djorkaeff sont venus rendre hommage à la légende, « l'araignée (ou la panthère) noire », lors d'une opposition contre les meilleurs sociétaires de l'écurie Dinamo en URSS (Moscou, Kiev, Tbilissi, Minsk) drivés pour le coup par le sympathique Konstantin Beskov, ancien mentor de la sélection soviétique et ex-pensionnaire du Dinamo Moscou, club dans lequel Yachine effectue toute sa carrière pendant vingt ans (de 1950 à 70). Un parcours exemplaire pour l'ancien apprenti-ouvrier. Il se teste d'abord au hockey dans sa jeunesse, déjà dans les buts, avant d'opter pour les bois du gazon. En plus de 600 matches sous son maillot noir, Lev Yachine invente un style et s'impose comme le meilleur gardien du monde, reconnu par ses pairs (Gordon Banks et Sepp Maier notamment), malgré une hygiène de vie peu orthodoxe. Fumeur patenté qui ne mégote pas devant un verre de liqueur, « rien de mieux pour vivifier les muscles » aime-t-il à dire, Lev Yachine est un (sur-)homme, un vrai, un dur, bâti dans le granite, à la poigne et santé de fer. La suite est malheureusement plus triste.
Un grand costaud cependant ému à la soixante-dixième minute de son jubilé, lorsqu'il passe le relais à son successeur Vladimir Pilguy, et quitte la pelouse sous l'ovation des spectateurs conscients de vivre un moment unique. Pour le public d'ailleurs, le score de la rencontre reste anecdotique. Les deux équipes se séparent sur un match nul (2-2), Kálmán Mészöly et Petar Jekov pour la sélection mondiale répondent à Khmelnitsky et Sabo. Non, ce jour-là, le public assiste à un événement bien plus fort; l'araignée vient de quitter sa toile, celle qu'il avait tissé dans sa surface pendant deux décennies. Et à Moscou comme chez la mère-patrie des républiques socialistes, plus rien ne sera jamais comme avant.
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