Après une domination néerlandaise et
germanique en coupe d'Europe des clubs champions au commencement de
l'ère seventies, Ajax et Bayern se partagent le gâteau entre 1971
et 1976 avec trois succès consécutifs pour chacune des deux
équipes, la coupe aux grandes oreilles s'offre par la suite à la
perfide Albion. Le leadership anglo-saxon accentue son emprise sur la
reine des compétitions européennes, au grand dam des formations
latines toussotantes en ce début de décennie. C'est du côté du
nord de l'Angleterre cette fois-ci, à Liverpool, cité portuaire et
industrielle ravagée par la crise économique, qu'il faut chercher
traces du nouveau maître de la C1. Le vieux continent est ainsi la
proie d'une armée rouge, les Reds comme on la surnomme, avide de
conquêtes et de trophées, et soutenue par des milliers de scousers
en mal de reconnaissance sociale. Une belle manière, amicale et
sportive (fair-play en angliche), de la part des joueurs de la Mersey
pour réhabiliter leur ville abandonnée par les politiques et les
pouvoirs publics.
En 1977, Liverpool Football Club
remporte sa première coupe des clubs champions, au stade Olympique
de Rome, aux dépens du très glamour Borussia Mönchengladbach. Ce
succès est le fruit d'un travail mené en amont par un homme, l'âme
du club, Bill Shankly. Ce dernier pose ses valises à Anfield en
décembre 1959, l'équipe végète alors en deuxième division, et
forge la légende du L.F.C jusqu'à son départ en 1974. Shankly est
un visionnaire. Il s'appuie d'abord sur un staff technique (Joe
Fagan, Reuben Bennett et Bob Paisley, son bras droit), puis modernise
les installations sportives de Melwood, le centre d'entraînement de
l'équipe, et du vieux stade Anfield Road, jugés tous deux obsolètes
à son arrivée. Il a aussi une idée du jeu et de la tactique, basé
sur le travail, la persévérance et l'éclosion de jeunes de
talents. Une idée simple du football, « rendue compliquée par les
gens qui n'y connaissent rien » selon ses propos. Et l'affaire
tourne. Sous les ordres du coach écossais, dont la carrière chez
les Reds est magnifiquement retracée dans le roman de David Peace («
Red or dead », Rivages, 2013), Liverpool grandit à pas de géants.
Champion de D.2 en 1962, l'équipe aligne ensuite les titres au plus
haut niveau. Une enfilade de perles rouges : trois championnats
(1964, 66 et 73), deux F.A Cup (1965 et 74), trois Community Shield
(1964, 65 et 66) et un premier succès européen (coupe UEFA 1973)
après un échec en coupe des vainqueurs de coupes (1966). Bill
Shankly laisse un héritage presque embarrassant à son successeur,
son adjoint Bob Paisley, lors de son départ à la retraite. A 60
ans, et après une vie entière consacrée au football, un sport «
qui n'est pas une question de vie ou de mort, mais bien important
plus que cela », celui-ci veut enfin profiter de sa famille.
Comme son mentor, lequel aime réunir à
l'époque son encadrement technique dans la mythique « Boot room »
d'Anfield pour y tailler le bout de gras sur l'équipe, la tactique à
adopter et les adversaires, y boire aussi accessoirement du whisky,
Bob Paisley tire sa philosophie du jeu de ses racines ouvrières.
Travail et simplicité. Du football populaire pour un club qui ne
cesse de le devenir grâce à ses nombreux succès Outre-Manche.
Profitant de la dynamique insufflée par Shankly, Paisley (qui
connaît le club par cœur pour y avoir joué durant toute sa
carrière pro de 1939 à 54) collectionne également les trophées
sur le plan national avec un jeu basé sur la vitesse et
l'utilisation de la balle. Taiseux, parfois paternaliste, l'homme
remplit son C.V d'un nouveau titre, tel un ogre nullement rassasié,
à chacune des saisons passées sur le banc. A commencer par le
Community Shield en 1974, histoire de digérer le départ de son
ancien patron, et assurer une transition pas très commode au premier
regard. Suivent quatre autres victoires dans cette compétition
(1976, 77, 80 et 82) qui donne le coup d'envoi de la saison en
Angleterre. La League Cup est aussi dans le tableau de chasse de
l'ancien défenseur des Reds, qui réalise le triplé entre 1981 et
83. Seule ombre dans le parcours du quinquagénaire, la F.A Cup
refuse de se retrouver entre ses mains (finale perdue contre
Manchester United en 1977). En championnat, par contre, Bob Paisley
rafle la mise avec six titres (1976, 77, 79, 80, 82 et 83). Le
jackpot pour lui et ses hommes, toutes générations confondues, de
Kevin « mighty mouse » Keegan à Kenny Dalglish en passant par Ray
Clemence, Ian Rush, Graeme Souness et consorts. Une hégémonie
nationale qui transpire aussi et surtout sur la scène européenne,
laquelle devient le théâtre privilégié des Reds à partir de
1976, année de leur second succès en coupe UEFA. Un amuse-gueule
avant de dominer l'ancêtre de la Champions League.
A la suite d'une finale maîtrisée
face au favori Mönchengladbach (3-1) en mai 1977, une rencontre
conclue par les adieux de Keegan avant son départ pour Hambourg, les
Reds confirment leur domination européenne quelques mois plus tard
en Supercoupe, écrasant sans faire de sentiment ce même H.S.V. A
l'aller au Volksparkstadion, le onze de la Mersey obtient le nul
(1-1) puis corrige les Allemands à Anfield. Une victoire 6 à 0.
Jeu, set et match pour des Reds qui continuent sur leur lancée
victorieuse. Liverpool réalise le doublé en coupe des clubs
champions (1978). C'est une première pour une équipe anglaise à ce
niveau. A Wembley, Liverpool joue « at home ». C'est en fait
souvent le cas lors de chaque déplacement de l'équipe. Une marée
de « scousers », spécialisée dans le vol à l'étalage et parfois
chahuteuse (avant le drame de 1985), profite des voyages pour envahir
les stades (et les boutiques) de l'Europe entière. Awaydays. Malgré
le score étriqué, Liverpool domine un F.C Bruges bien pâle dans le
temple du football peut-être un peu trop grand pour lui. Les hommes
de Bob Paisley se contentent d'un petit but à l'heure de jeu de
Kenny Dalglish, la nouvelle coqueluche du Spion Kop depuis le départ
de Keegan. Au cours des deux saisons suivantes Brian Clough, autre
légende du football anglais passée sous la plume de David Peace («
The damned united », Rivages, 2008), profite de la voie ouverte par
les Reds pour mener son équipe, Nottingham Forest, vers le toit de
l'Europe (1979 et 80). En mai 1981, quelques jours après l'élection
de Tonton en France, dans un Parc des Princes rouge de bonheur non
pas par conviction politique, Bob Paisley devient un héros au pays.
Liverpool engrange un troisième succès en C1. Cette fois c'est le
grand Real Madrid, le recordman des victoires dans la compétition,
qui est la victime de la ténacité anglaise. Dans une finale tendue
et indécise, plutôt à l'avantage des Espagnols, Alan Kennedy offre
un nouveau trophée aux Reds à dix minutes du terme de la rencontre.
Un succès étriqué, obtenu sur un coup du sort, qui permet
cependant à Bob Paisley d'entrer dans le Hall of Fame du foot
anglais. Celui-ci devient en effet le premier coach à réaliser le
triplé en coupe d'Europe des clubs champions. Un record égalé
depuis par Carlo Ancelotti mais avec deux clubs différents (Milan AC
et Real). Il est alors temps pour le vieux Bob de prendre une
retraite bien méritée, avec un bilan de dix-neuf trophées au
compteur (manager toujours le plus titré de Liverpool à l'heure
actuelle). Considéré comme le vrai tacticien de l'équipe à
l'époque de Shankly, ce dernier étant plutôt une grande source de
motivation, Paisley laisse sa place à son assistant Joe Fagan en
1983.
Paris. Parc des Princes 1981
Pilier du club, il prend en charge
l'équipe réserve en 1958, et digne représentant de l'esprit de la
« Boot room », Joe Fagan réalise un surprenant triplé au bout de
sa première saison à la tête de l'équipe première. Liverpool
remporte le championnat, la League Cup et une nouvelle coupe des
Champions. A Rome, comme sept ans auparavant pour sa première
conquête, les Reds manœuvrent cette fois en terre hostile contre
l'équipe locale, l'AS Roma de Falcao, Cerezo et Conti. Liverpool
pousse la formation italienne aux prolongations et jusqu'à l'épreuve
des tirs au but (c'est une première en finale), durant laquelle le
fantasque gardien Bruce Grobbelaar assure le show et la victoire
finale. C'est le quatrième succès des Reds en autant de finales
jouées. L'année suivante au stade du Heysel à Bruxelles, la
relation entre Liverpool et la coupe aux grandes oreilles tourne au
vinaigre. Confrontés à la Juve de Platini, les Reds assistent
impuissants à la férocité de certains de ses fans avinés avant la
rencontre. C'est un carnage dans les tribunes (39 morts, 600
blessés). Battu sur le terrain, presqu'une anecdote devant un tel
drame, Liverpool perd un peu de son âme en Belgique. L'équipe est
exclue de toutes compétitions européennes pour une période de six
ans. Joe Fagan quitte le club le cœur serré. En se rappelant les
grandes heures du Kop, celui qui fît frémir les Stéphanois un soir
de mars 77, lesquels entendent encore le « We shall not be moved »
des supporters triomphants dans leurs tympans. La fin d'une épopée
pour les Verts, le début d'une grande histoire pour Liverpool qui,
bon an mal, ne marche jamais seul.
Rome. Stadio Olimpico 1984.
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